Le Canada utilise de plus en plus les sanctions commerciales internationales. Ces sanctions visent notamment des individus et des entreprises étrangères, et la conformité avec celles-ci accroit en importance et en complexité pour les entreprises qui opèrent à l’étranger. Qu’arrive-t-il lorsque vous avez été inscrit sur une liste de sanctions et que vous souhaitez en être radié ? Nous examinons ici deux cas récents.
- L’ancien premier ministre d’Haïti présente une contestation judiciaire à la Cour fédérale
Récemment, des sanctions ont été imposées en réponse aux activités des gangs criminels et de leurs partisans qui suscitent la violence et l’insécurité en Haïti. Ces sanctions sont imposées en vertu de la Loi sur les Nations Unies, ainsi que de la Loi sur les mesures économiques spéciales (la Loi). Au cours des trois premiers mois de 2023 seulement, le Canada a modifié ses sanctions contre Haïti à trois reprises : le 12 janvier 2023, le 15 février 2023 et le 23 mars 2023.
Les sanctions canadiennes concernant Haïti comprennent des listes désignant les personnes frappées par des interdictions. De plus, les règlements adoptés concernant Haïti permettent aux personnes sanctionnées de demander que leurs noms soient radiés de la liste applicable. Ce processus administratif permet aux personnes sanctionnées de contester le fondement de leur inscription sur les listes de sanctions. Selon le règlement concernant Haïti, le ministre doit répondre à une telle demande de radiation dans un délai de 30 jours.
Le 17 novembre 2022, le Canada a jugé que la situation dans la République d’Haïti constitue toujours une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationale, et a ordonné l’ajout, entre autres, de Laurent Salvador Lamothe, l’ancien premier ministre d’Haïti, à l’annexe du Règlement sur les mesures économiques spéciales visant Haïti (SOR/2022-226) (le Règlement). M. Lamothe ne semble pas avoir utilisé le processus administratif disponible pour contester son ajout ; il a plutôt choisi d’intenter une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada le 22 décembre, visant à radier son nom de l’annexe. Bien que M. Lamothe ait demandé à Affaires mondiales Canada (AMC) de fournir les preuves ayant conduit à cette décision, il n’est pas clair si M. Lamothe a formellement demandé au ministre d’être radié de la liste.
La demande
La demande de contrôle judiciaire présentée par M. Lamothe devant la Cour fédérale conteste la décision qui a ajouté son nom à l’annexe du Règlement (la Décision). M. Lamothe soutient que la Décision ne lui a pas été communiquée, ayant pris connaissance de celle-ci à travers les réseaux sociaux le 21 novembre 2022. La Décision fut subséquemment publiée dans la Gazette du Canada, Partie II, volume 156, numéro 25, en décembre 2022. Dans sa requête, M. Lamothe demande à la Cour fédérale a) de déclarer que l’ajout de son nom au Règlement enfreint aux règles d’équité procédurale et de justice naturelle et b) d’émette une ordonnance annulant l’ajout de son nom à l’annexe du Règlement.
La demande de M. Lamothe comprend les motifs suivants:
(a) Il n’a jamais été visé par une loi, un règlement, une ordonnance, une décision, ni par tout autre instrument juridique en Haïti qui pourrait laisser croire qu’il soutient, directement ou indirectement, de près ou de loin, les gangs armés en Haïti ;
(b) Il ne fait pas non plus l’objet d’enquête en Haïti sur ses liens prétendus avec des gangs armés en Haïti ;
(c) En tant que premier ministre d’Haïti, il a fait de la lutte contre l’insécurité son cheval de bataille en élaborant puis en mettant en œuvre une politique de tolérance zéro face aux gangs armés ;
(d) Durant son mandat, le gouvernement d’Haïti a démantelé les deux plus grands réseaux d’enlèvement en Haïti, a fait emprisonner ses dirigeants et a éliminé les zones de non-droit ;
(e) En tant que premier ministre, il a également encouragé un renforcement de la sécurité nationale par l’achat d’armes et d’équipements pour la Police nationale haïtienne, dont les blindés de qualité qui sont toujours en service ; et
(f) Il a et continue de soutenir l’adoption en Haïti de lois contre la corruption, contre le blanchiment d’argent et contre le financement des activités d’organisations criminelles.
M. Lamothe allègue que la Décision ne s’appuie donc sur aucune donnée vérifiée ou vérifiable et qu’elle contredit les actes posés par M. Lamothe pendant l’exercice de ses fonctions comme premier ministre, ainsi qu’après la fin de son mandat.
Dans sa demande, M. Lamothe explique que le 12 décembre 2022, il a mis en demeure le ministre pour lui permettre de répondre aux allégations et aux accusations le concernant, à défaut de quoi le ministre devrait radier son nom de l’annexe ou lui fournir les motifs et les documents qui ont fondé l’ajout de son nom. Selon M. Lamothe, le ministre n’a donné aucune suite à sa lettre de mise en demeure. Par conséquent, la décision de le sanctionner a été prise en contravention des principes de justice naturelle et d’équité procédurale que le ministre était tenu de respecter. De ce fait, le ministre a manqué à son obligation de vérification minimale des informations qui lui ont été ou auraient pu lui être transmises et qui tendent à incriminer M. Lamothe ou à mettre en doute sa probité, avant de recommander l’imposition des sanctions.
Selon M. Lamothe, la décision contrevient aux principes d’équité procédurale puisqu’il n’avait pas l’occasion de se défendre contre les allégations portées contre lui.
Le 6 janvier 2023, le procureur général du Canada a répondu que le gouvernement entend s’opposer à la demande. Le procureur général n’a pas encore déposé de mémoire en défense devant la Cour.
2. Le pilote de Formule 1 Dmitry Mazepin dépose également un contrôle judiciaire à la Cour fédérale
Plus récemment, un pilote russe de Formule 1 a saisi la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire visant son inscription sur la liste au titre des règlements adoptés concernant la Russie. Le pilote, Nikita Mazepin, et son père, Dmitry Mazepin, ont été ajoutés aux règlements concernant la Russie en mai 2022.
Peu après son inscription sur la liste de sanctions, le 27 juin 2022, Nikita Mazepin a demandé à Affaires mondiales Canada (AMC) de lui fournir les raisons de son inscription. Il a présenté par la suite une demande d’accès à l’information. Le 8 décembre 2022, n’ayant reçu aucune réponse d’AMC, Mazepin a déposé sa demande de retrait de la liste de sanctions auprès du ministre des Affaires étrangères.
Le 29 mars 2023, soit 109 jours depuis le dépôt de sa demande de retrait, Mazepin a présenté une requête demandant au ministre de rendre une décision au plus tard le 3 avril 2023, étant donné que ce dernier a omis de rendre une décision dans les délais prescrits. Le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie exige que le ministre des Affaires étrangères se prononce sur une demande de radiation dans les 90 jours suivant sa réception.
Le 17 avril 2023, Mazepin a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Puis, le 21 avril 2023, le ministre a répondu à la requête du 29 mars et l’a refusée. La décision du ministre ne mentionne aucun motif de retrait de la liste, mais se fonde uniquement sur le fait que Mazepin est le fils de Dmitry Arkadievich Mazepin, qui, selon le ministre, est un proche collaborateur de Vladimir Putin.
Dans la demande à la Cour fédérale, Mazepin soutient qu’il doit exister un lien entre son comportement et la situation dans l’« État étranger » qui justifie l’adoption et le maintien des sanctions. Le fait de punir une personne uniquement en raison de son ADN serait une violation de l’État de droit. Nonobstant les arguments de Mazepin, le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie prévoit spécifiquement l’inscription sur la liste de sanctions des membres de la famille et des associés des représentants du gouvernement, des auteurs d’atteintes aux droits de l’homme et des personnes engagées dans des activités qui, directement ou indirectement, facilitent une violation ou une tentative de violation de la souveraineté ou de l’intégrité territoriale de l’Ukraine ou procurent un soutien ou du financement ou contribuent à une telle violation ou tentative ou qui entravent le travail d’organisations internationales en Ukraine.
L’avis indique que Mazepin est un « jeune sportif et pilote automobile professionnel qui n’est aucunement impliqué dans l’agression subie par l’Ukraine » ni engagé dans des secteurs économiques fournissant des revenus substantiels à la Russie. Les sanctions, et le ministre des Affaires étrangères qui ne répond pas dans le délai requis, empêchent Mazepin de participer à des courses automobiles au Canada ou d’avoir des relations avec des Canadiens, ce qui « réduit de manière catastrophique » son éligibilité à un retour au circuit de Formule 1 l’année prochaine, selon la requête.
Dans son avis, Mazepin affirme que le ministre n’a pas respecté les principes de justice naturelle en ne lui donnant aucune possibilité d’être entendu sur la décision relative à son inscription sur la liste et en ne lui fournissant aucun motif pour celle-ci.
Le procureur général n’a pas encore déposé de mémoire en défense devant la Cour.
Conclusions
Au Canada, le processus d’ajout et de radiation d’un nom d’une liste de sanction est incertain et peu transparent. À cet égard, les sanctions canadiennes diffèrent des sanctions parallèles de plusieurs de nos alliés. Par exemple, au Royaume-Uni, le ministre publie un résumé des motifs lorsqu’un individu est sanctionné. Aux États-Unis, les autorités publient des directives sur le fonctionnement des sanctions et sur les justifications acceptées pour contester l’ajout d’un nom aux listes de sanctions.
Au Canada, lorsqu’un individu veut être radié, il doit soumettre une demande à l’AMC avec l’information pertinente. Néanmoins, l’AMC ne donne aucun renseignement ou information pour expliquer les raisons pourquoi cet individu est assujetti aux sanctions. La personne sanctionnée n’a donc aucun accès aux motifs retenus par le ministre pour son ajout aux listes de sanctions, ce qui complique la contestation : il est difficile de contester une décision lorsqu’il est impossible de savoir pourquoi elle a été prise.
Pour en savoir plus sur les régimes de sanctions au Canada, veuillez contacter Paul Lalonde, Sean Stephenson ou Daniela Acevedo.